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Aujourd’hui dans notre série de portraits sur les femmes de la CASA Judith Butler celle qui nomme notre coloris Bleu délavé.
Judith Butler est née le 24 février 1956 à Cleveland, en Ohio, dans une famille juive pratiquante. Durant sa jeunesse elle a reçu une éducation religieuse et était considérée comme une élève difficile.
Alors qu’elle n’a pas encore 15 ans, sa mère est convoquée chez la directrice et celle-ci la prévient que sa fille est sur la voie de la délinquance. Judith Butler se fait mettre dehors du système scolaire juif et commence à suivre des cours privé avec le rabbin de sa communauté. Coup de chance, si elle fuyait ses cours avant c’était pour aller écouter ce rabbin à la synagogue.
C’est vers cet âge là aussi que Butler vit sa première passion amoureuse. Elle se découvre lesbienne, mot qui sonne péjoratif à ses oreilles, elle préfère se penser homosexuelle, même si pour le coup elle a l’impression d’être un cas médical. Elle se raconte ainsi: « Je suis devenue lesbienne à l’âge de quatorze ans. Et je ne connaissais absolument rien à la politique. Je suis devenue lesbienne parce que je voulais quelqu’un très profondément. Et ensuite je suis devenue politique à propos de ça, mais en tant que résultat. »
En effet, la question de la sexualité liée à celle du genre est devenue très présente dans ses recherches, alors qu’elle développe les bases ou du moins des travaux incontournables des gender studies. Doctorante en philosophie à l’université de Yale, elle travaille d’abord dans la lignée de la french theory, sur la question du pouvoir et de la vulnérabilité. Elle étudie le pouvoir dans son ambivalence comme oppresseur mais également créateur du sujet, de l’individu, en se basant notamment sur les travaux de Michel Foucault.
Ne serait-ce que cette influence, qui la suivra dans ses recherches futures, la place en rupture avec beaucoup de féministes de l’époque, françaises et américaines, qui étaient encore dans la lignée marxiste. Butler pense en terme d’individu et non de classe, de pouvoir inévitable et non d’oppression qui peut et doit être détruite.
Si Butler est féministe assez tôt et a lu les classiques de l’époque, elle se lance elle-même dans le féminisme académique un peu par hasard alors qu’une collègue l’invite à participer à un colloque. Elle se replonge alors dans Le deuxième sexe et reprend la fameuse phrase de Beauvoir: On ne naît pas femme on le devient. Elle se met alors à réfléchir vraiment à l’idée de genre.
Le genre (féminin, masculin, autre..) est une construction sociale non naturelle, des identités sexuées modelées par les normes sociales, en d’autres mots, encore, on ne naît pas femme ou homme on le devient. Butler étudie le genre en tant que devenir constant, en effet selon elle on ne devient pas femme une fois pour toute, on le devient continuellement.
Par ailleurs, nul ne parvient à personnifier pleinement l’idéal d’un genre, nul homme ne correspond en tout point à la masculinité, Le genre n’est pas non plus quelque chose de stable, de constant; le genre évolue. Ses réflexions l’intéressent surtout pour penser les échecs de personnification, les moments où un individu n’arrive pas à – ou refuse de – correspondre aux normes genrées. Elle se questionne sur le genre comme norme utilisée de manière coercitive, comme des moules dans lesquels il faut entrer au risque de se faire rejeter.
Pour expliquer le caractère concret, politique de son travail, Judith Butler revient souvent sur l’histoire d’un jeune garçon efféminé qui s’est fait tabasser et tuer seulement pour ça, parce qu’il ne correspondait pas à la norme, et questionne ainsi la peur de la différence. Son but en déconstruisant, en dénaturalisant les genres masculin et féminin est en fait de multiplier le nombre de vie vivable, le nombre de genre que l’on peut devenir. Judith Butler ne rêve pas d’abolir le genre, cette construction sociale qui peut être coercitive, mais bien de le rendre multiple, souple.
C’est cette théorie du genre comme quelque chose que l’on performe, que l’on joue avec plus ou moins de succès et qui peut évoluer que Butler développe dans son oeuvre majeure: Trouble dans le genre. Butler explique d’ailleurs que ce livre aurait aussi pu s’appeler: fabriquer son genre, titre qui aurait mis en lumière comment le genre est une performance continuelle, un devenir sans fin et sans limites.
Par ce livre, Butler remet aussi en question le dogme de l’hétérosexualité et insiste sur la différence entre la sexualité et le genre, il peut y avoir un homme trans hétérosexuel (c’est-à-dire une personne née de sexe féminin qui s’identifie en tant qu’homme et qui aime les femmes). Elle travaille également beaucoup sur la figure du travesti, comme figure subversive qui questionne nos perceptions figées du genre.
Judith Butler est devenue une figure du proue du mouvement queer et féministe, mais ne s’est pas restreinte aux questions de genre, elle a également beaucoup écrit sur le terrorisme et sur la situation en Israël adoptant une position antisioniste et ceci en tant que juive, ce qui n’est pas anodin. Elle continue par ailleurs à réfléchir sur des questions philosophiques plus classiques, questionnant Spinoza ou encore Hegel.
Aujourd’hui professeure de philosophie à l’université de Berkeley, Judith Butler est passée d’enfant turbulente à intellectuelle militante incontournable de notre époque.
“Masculine and feminine roles are not biologically fixed but socially constructed.”
“We can’t read sexuality off of gender.” – Judith Butler