La dentelle Estonienne
La dentelle Estonienne
L'Estonie est située sur la côte Baltique, voisine de la Lituanie au sud, de la Russie à l'Est et de la Finlande au Nord.
L'Estonie a une longue histoire du Tricot et est l'origine de plusieurs des plus anciens objets tricotés d'Europe du Nord, datant de la fn du 13ème siècle. La confection des gants, mitaines et chaussettes a fait partie des coutumes estoniennes pendant des centaines d'années.
Sur la côte ouest de l'Estonie se situe la ville balnéaire d'Haapsalu, célèbre pour les rue de son château du 13ème siècle, ses bains de boue médicinaux et ses plages.
La Russie a dirigé l'Estonie à partir du début du 18ème siècle jusqu'en 1918. Ce fut durant cette période qu'Haapsalu devint une destination touristique et une ville balnéaire forissante. Les femmes d'Haapsalu, étant travailleuses et créatives, commencèrent une petite industrie locale de châles en dentelle tricotés qui perdura jusqu'au 21ème siècle.
Le début d'une tradition
Malgré le manque de date précise, on estime le début du tricot en dentelle à Haapsalu au tout début du XIXème siècle, au même moment où la ville devenait une destination prisée par des touristes bien nantis d'origine russe, allemande, suédoise et européenne en générale.
L'attrait d'Haapsalu était principalement ses bains de boue médicinaux. Le premier sanatorium fut ouvert en 1825 et le deuxième en 1845.
Haapsalu devint la destination favorite du Tsar Nicolas I (1796-1855) et Alexander II (1818-1881). C'est ainsi que la ville acquit un statut royal.
Les touristes, dont le nombre atteignit 3.000 à la fn du XIXème, étaient habillés à la dernière mode, ce qui incluait naturellement des pièces de châles et d'étoles en dentelle fnement tricotées. C'est sans doute de cette manière que les tricoteuses d'Haapsalu trouvèrent leur inspiration pour développer des motifs de dentelle bien à elles.
La tradition raconte que le talent de tricoter ces châles pourrait venir d'une famille d'origine suédoise qui s'installa à Haapsalu. Qu'importe d'où vint l'idée, les tricoteuses d'Haapsalu créèrent une industrie locale dans laquelle elles excellèrent.
Les tricoteuses se rassemblaient sur la promenade le long du bord de mer, assises en groupes avec leurs paniers pleins de châles, leurs tricots en main, et vendant leurs œuvres aux touristes en goguette. Beaucoup de vacanciers achetèrent ces châles d'Haapsalu comme des cadeaux et bientôt ces châles frent le tour de l'Europe et des pays nordiques.
Les tricoteuses se rassemblaient aussi au port où des bateaux en partance pour St. Petersbourg faisaient un arrêt. C'est ainsi que beaucoup d'achats en gros de «Châles de théâtres» étaient faits par des russes pour être revendus à la gente féminine aisée de St. Petersbourg. Ces châles arrivèrent au sommet de leur popularité à la fn du XIXème et au début du XXème.
Une tricoteuse accomplie pouvait compléter de 20 à 30 châles pendant la saison hivernale; une famille s'unissant ensemble pouvait compléter de 70 à 80 châles. Les jeunes flles apprenaient à tricoter «genoux contre genoux» très tôt par leurs mères. Elles apprenaient des patrons simples dès l'âge de 4 ans et arrivés à 8 ans, on leur faisait confance pour tricoter les bordures de dentelles qui seraient cousus sur les pièces centrales.
Les estoniennes n'avaient pas d'instructions écrites pour leurs patrons, les techniques et motifs étaient transmis de main à main d'une génération à l'autre.
Les motifs en tricot étaient préservés sur un long échantillon qui les enchaînaient ou en carrés individuels.
La tricoteuse étudiait l'échantillon puis pouvait tricoter le motif sans l'aide de chartes ou d'instructions écrites. Si une tricoteuse empruntait un échantillon, elle repayait son prêt en ajoutant un nouveau motif à la collection. Ce n'est qu'à partir de 1930 que les premiers patrons écrits frent leurs apparitions.
Au XIX ème siècle, il n'existait que quelques motifs tels que la branche (Haga), la feuille (Lehe), et l'argent (raha). Depuis, plusieurs des douzaines de motifs ont été développés, dont beaucoup sont inspirés de la vie quotidienne et du profond amour des estoniens pour la nature.
Pour n'en cités que quelques uns: Le papillon (Liblikakiri), les myrtilles (Mustikakiri), et la branche de meurisier (Kaselehekiri) et le très populaire muguet (Maikell).
Le motif de Muguet et ses nombreuses variations ainsi que beaucoup d'autres motifs, incorporent la techniques des «Nupps». Cette petite boule de laine est une spécialité estonienne et est utilisée pour ajouter de la texture au patrons ajourés ou pour créer des dessins sur une base de jersey.
Les châles étaient traditionnellement vendus au poids et ceux utilisant des Nupps étaient plus lourds et pouvaient donc être plus rentables. Les nupps étaient et sont toujours, la preuve que le châle était tricoté à la main car elles ne peuvent être réalisées à la machine.
Les premiers châles d'Haapsalu étaient tricotés dans un fl assez épais, single ply ou two-ply flé à la main avec la laine des moutons locaux. Malgré la pauvreté des sols autour d'Haapsalu, les moutons survivaient grâce à l'herbe entre les génévriers. La meilleure laine pour ces châles étaient récoltées sur le dos et le cou des plus jeunes moutons.
Les fls épais étaient flés sur des fuseaux, mais le meilleur fl pour le tricot de dentelle était flé au rouet.
Les fls fns étaient prisés et les laines flées industriellement, souvent importées, devinrent populaires dès qu'elles furent accessibles en magasin.
Les premiers châles étaient simples, sans la bordure en dentelle. Plus tard, quand les laines flées par les moulins devinrent disponibles, les châles devinrent plus aériens et plus complexes avec l'ajout d'une bordure ajourée.
La tradition dit que le châle le plus fn pouvait être glissé à travers un anneau de mariage, une manière de déterminer la qualité de ce type de tricot. Cette fnesse était un atout marketing pour inciter à la vente. La couleur la plus populaire était, et est toujours, le blanc.
Certainschâlesétaientréaliséesdansdesteintespastelstandisqueceuxtricotésaveclalainegriseou noire étaient typiquement réservés pour un usage personnel.
Traditionnellement, les tricoteuses utilisaient des aiguilles droites qui étaient sculptées à partir de bois de lilas ou de pommier, deux essences communes dans les jardins. Les aiguilles étaient polies, sablées et huilées avec la lanoline (la graisse issue de la laine du mouton). Elles étaient réalisées dans les tailles du 2,75 mm jusqu'au 4 mm.
La taille de l'aiguille était déterminée en la passant par un trou dans une feuille de papier. Les aiguilles étaient courtes et mesuraient 25 cm de long, elles étaient aussi légères, lisses avec des pointes arrondies et non pointues.
Aujourd'hui, ces tricoteuses continuent de préférer les aiguilles du commerces courtes, en bois ou bambou, elles n'utiliseraient jamais d'aiguilles en métal car elles les considèrent trop lourdes.
Les tricoteuses d'Haapsalu tiennent traditionnellement leur fl dans la main droite et le «lance» à la manière «anglaise».
Le châle traditionnel
Le châle classique d'Haapsalu, si populaire à la fn du XIX et au début du XXème, était carré et mesurait environ 1 m x 1m ou était plus large. Il consistait en trois parties distinctes: la partie centrale, le cadre et la bordure.
Le centre et le cadre étaient tricotés ensemble et, même si ces deux parties étaient ajourées, seule la bordure était qualifée de «dentelle».
Traditionnellement, la bordure était tricotée séparément en deux parties puis cousue à la main à la pièce principale. Cette bordure était travaillée en deux parties (contenant souvent plus de 250 mailles chacune) car seulement la moitié des mailles logeaient sur l'aiguille. Les tricoteuses n'utilisaient pas l'aiguille circulaire (qui est une invention moderne) ou les aiguilles double pointe.
Les châles carrés étaient traditionnellement repliés en 2 et portés par-dessus la tête afn que la bordure en dentelle encadre le visage. Si, durant l'hiver, l'on portait un chapeau, le châle recouvrait alors le chapeau.
En plus des motifs inspirés par la Nature, les tricoteuses accomplies développèrent des designs pour honorer des célébrités.
Ainsi, Un châle fut réalisé avec un motif «Greta Garbo» (1905-1990), incorporant un dessin de cœur et il fut envoyé à la star en 1935, avec l'espoir que l'actrice le porterait dans un de ses flms et ainsi, mette en lumière l'art de la dentelle estonienne.
Un autre châle fut tricoté avec le motif «Crown Prince» puis ofert au prince de Suède Gustav Adolf (1882-1973) durant sa visite à Haapsalu en 1932. Ce motif fut créé par Matilde Möll qui fut une des premières à mettre en grille ses motifs et sans doute la première à tricoter des châles triangulaires.
Plus récemment, Linda Elgas, une tricoteuse renommée d'Haapsalu, créa un magnifque motif en mariant le dessin de «Liblikas» (papillon) et «Maikelluke» (muguet). Un châle tricoté avec ce design, légèrement modifé, fut donné à la reine de la Suède Silvia (1943-) quand elle visita Haapsalu en 1992 et, c'est ainsi que le motif fut nommé «Queen Sylvia» (Reine Sylvia).
La tradition continue...
Durant la première période d'indépendance de l'Estonie (1920-1940), des cours de tricot étaient enseignés au collège technique local afn d'encourager et d'organiser les tricoteuses d'Haapsalu. C'est là que les enseignants étaient formés et que les étudiants pouvaient suivre des cours sur les techniques spécifques de ces châles.
Cette période fut un âge d'or pour les châles d'Haapsalu qui furent publicisés de manière international dans les années 30. À cette époque, beaucoup de tricoteuses estoniennes prirent part à des expositions internationales aussi bien à Berlin qu'à New York.
Une maître tricoteuse, Anette Martson (1879-) avaient plus de 50 tricoteuses qui travaillaient sous ses ordres et auxquelles elle fournissait la laine. Elle terminait leurs châles en les lavant et les bloquant ainsi qu'en organisant leurs ventes.
Dans les années 30, plus de 500 habitantes d'Haapsalu étaient impliquées dans la réalisation des fameux châles. Les châles d'Anette furent présentés dans de nombreuses expositions et reçurent plusieurs prix.
La hausse des prix pour les laines fnes importées de Suède, d'Angleterre et de Lituanie, découragea leurs importations. Certaines tricoteuses émigrèrent en Lituanie et en Finlande afn de pouvoir continuer à pratiquer leur art. D'autres abandonnèrent les châles pour les pulls ajourés.
La seconde guerre mondiale interrompit l'exportation des produits estoniens. Durant l'occupation soviétique (1944-1991), les tricoteuses continuèrent à tricoter des châles et des écharpes. Ils étaient produits dans une coopérative, UKU, qui dirigeait un atelier de production à Haapsalu.
Chaque tricoteuse de la coopérative devait compléter un quota de 9 châles ou 12 écharpes par mois! Les tricoteuses plus âgées avec des handicaps avaient un quota divisé par 2. UKU procurait la laine à chaque tricoteuse qui étaient payées une misère pour leur travail.
En 1970, la directrice de l'UKU, Leili Leht, commença à collecter et photographier les motifs des châles et des écharpes. Selon Linda Elgas, dans son livre «Haapsalu Rätikud», ces archives formèrent la matière première des 3 éditions du livre «Pitsilised Koekirjad» de Leili Reimann. Cette auteur n'est pas native d'Haapsalu, mais son livre contient beaucoup de motifs originaires d'Haapsalu et qui les rendirent disponibles aux tricoteuses à travers le monde.
Les éditions de patrons
Pendant la seconde guerre mondiale, beaucoup d'estoniens fuirent vers la Suède, le Canada, l'Australie et les États-Unis. Malgré le peu de possessions qu'ils emmenaient avec eux, les femmes ramenèrent leurs talents de tricoteuses et leurs traditions. Afn de préserver cette culture précieuse, tout particulièrement pour les générations qui grandiraient loin de leurs racines, le magazine Triinu fut créer et commença sa publication en 1952 (dernière édition 1995).
Ce magazine est un exemple de lutte pour préserver vivante une culture malgré l'émigration et l'éloignement. Il était publié de manière trimestriel, contenant des articles portant aussi bien sur la poésie, l'art, la littérature, la santé, la nutrition et... des patrons de tricot.
Les éditrices et les contributeurs étaient tous volontaires et travaillaient pour le magazine entre leur emploi régulier et leurs occupations familiales. Ils étaient motivés par leur ferté nationaliste et la bonne volonté et aucun ne reçut de compensation fnancière. Il est difcile d'expliquer la portée qu'eut ce magazine dans la promotion et la préservation du patrimoine culturel estonien.
Une autre source de patrons de châles traditionnels fut le livre «Haapsalu Rätik», publié en 1972 par la fédération du club des femmes estoniennes à New York. Cette publication ofrait un historique de l'art du tricot estonien et des patrons (écrits malheureusement...) pour les parties centrales, les bordures et la dentelle à combiner.
Aujourd'hui
Aujourd'hui, il existe un marché florissant pour les châles en dentelle d'Haapsalu, autant dans la ville elle- même, qu'à travers le pays. Les tricoteuses d'Haapsalu continuent à tricoter leurs châles de manière traditionnelle, avec la bordure en dentelle, s'il y en a une, cousue à la partie centrale.
Même si certains châles sont encore tricotés en carré, la plupart sont maintenant rectangulaires ou triangulaires. Le tricot de dentelle est devenu populaire à travers toute l'Estonie. Si les motifs ou les techniques ne sont pas toutes les mêmes, le titre «Haapsalu Rätik» (châle d'Haapsalu), est donné aussi bien aux écharpes et aux châles tricotés n'importe où en Estonie.
Même si certains châles sont encore tricotés en carré, la plupart sont maintenant rectangulaires ou triangulaires. Le tricot de dentelle est devenu populaire à travers toute l'Estonie. Si les motifs ou les techniques ne sont pas toutes les mêmes, le titre «Haapsalu Rätik» (châle d'Haapsalu), est donné aussi bien aux écharpes et aux châles tricotés n'importe où en Estonie.
Techniques traditionnelles
Le montage des mailles
Le montage des mailles est un montage très élastique. Il est démarré à partir d'un nœud coulant. La
maille ainsi formée sur l'aiguille est tricotée sans être lâchée et la nouvelle maille ainsi formée est remise sur l'aiguille.
Les bordures
Afn d'assurer une bordure régulière dans laquelle il sera facile de relever des mailles, chaque première maille au début des rangs est glissée comme pour la tricoter à l'envers.
Les nuppes
La nupp est une petite «bulle» de laine qui se retrouve dans beaucoup de motifs estoniens. Les nupps sont faites à partir de 5, 7 ou 9 mailles. Typiquement, 7 mailles sont utilisés pour les fls fn à moyen, 5 pour les fils plus gros et 9 pour les fils très fins.
Il y a plusieurs manières de tricoter une nupp, la méthode préférée de Nancy Bush (spécialiste dans la dentelle estonienne), est de la tricoter sur l'endroit du travail.
On tricote dans la même maille de manière souple, la laisser sur l'aiguille de gauche puis alterner un jeté et retricoter la même maille jusqu'à obtenir le nombre de mailles voulues en terminant par une maille endroit. Au prochain rang, sur l'envers du travail, tricoter toutes les mailles ainsi obtenues ensemble (C'est pourquoi il est important de les tricoter bien souple) afn de retourner à la maille originale.
Exercices
Voici la charte du point d'étoile utilisé dans le châle LAMINARIA d'Elizabeth Freeman.
Le symbole > 3 < signife: Tricoter 3 mailles ensemble sans les laisser tomber de l'aiguille de gauche, faire un jeté puis retricoter ces 3 mailles ensemble. De 3 mailles, nous obtenons à nouveau 3 mailles.
Sur l'endroit du travail, toutes les mailles sont tricotées à l'endroit et sur l'envers du travail, elles sont tricotées à l'envers.
Pour nous exercer, nous monterons 21 mailles (8 mailles pour le point + 7 mailles pour la symétrie + 6 mailles pour une bordure mousse de 3 mailles de chaque côté).
Tricoter 3 rangs mousse.
Rang 1: 3 mailles mousse, placer un repére, répéter le motif 2 fois, placer un repère avant les 3 dernières mailles et terminer par 3 mailles mousse.